Le bassin fluvial du Rio de la Plata
« Ouvriers de leur propre développement, les
peuples en sont les premiers responsables. Mais ils ne le réaliseront pas dans
l’isolement. Des accords régionaux entre peuples faibles pour se soutenir
mutuellement, des ententes plus amples pour leur venir en aide, des conventions
plus ambitieuses entre les uns et les autres pour établir des programmes
concertés, sont les jalons de ce chemin du développement que conduit à la paix »
(Populorum progressio, nº 77). Conscients
de cette nécessité, cinq pays de l’Amérique latine, unis par le système
hydrographique du Rio de la
Plata, étudient actuellement un projet d’intégration.
L’idée n’est pas nouvelle. Dans une conférence
interaméricaine tenue à Mexico en 1898, on parlait déjà de convoquer un congrès
régional de « géographie fluviale ». Pour la région du bassin de la Plata, ce fut en 1945 que
les cinqs États intéressés, Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay se
mirent d’accord pour créer des commissions communes en vue d’améliorer la
navigation, de construire des pipelines, de stimuler le tourisme et de
constituer une union douanière. Néanmoins, ces bonnes intentions ne se sont
concrétisées qu’en février 1967, lors d’une réunion des ministres des Affaires
étrangères de la région à Buenos Aires. En avril 1967 –deux mois après-, les
chefs d’État de l’Amérique latine et des Etats-Unis réunis à Punta del Este
décidaient d’étudier des « projets pour la mise en valeur commune des
bassins fluviaux, comme ceux déjà entrepris pour le bassin de la Plata » (chapitre 2 de la Déclaration). Le
projet du bassin de la Plata
fait école. En voici les données hydrographiques et économiques.
Le système hydrographique de la Plata est formé par trois
fleuves: le Rio Parana, le Rio Uruguay, le Rio Paraguay qui débouchent sur un
confluent commun: le Rio de la Plata. La
longueur totale de ces fleuves, sans compter leurs affluents, est de 8.000 km. La superficie de
la zone drainée par eux est de trois millions de km2 (6 fois la
superficie de la France).
Le Rio Parana est navigable jusqu’aux Chutes
d’Apipé (3 mètres de dénivellation). A 700 km de son embouchure, il reçoit les eaux du
Rio Paraguay, lequel est navigable jusqu’au port fluvial brésilien de Corumba:
ce qui veut dire qu’en empruntant la voie de ces deux fleuves, on peut
atteindre la capitale de la
République du Paraguay, Asuncion, dont le port a encore un
tirant d’eau de trois mètres. Le port de Buenos Aires, sur le Rio de la Plata, a une profondeur de 8 m 70. En remontant le Rio
Parana, on rencontre d’abord Rosario, la seconde ville de la République Argentine,
dont le port fait 7 m
30, puis Santa Fé, où peuvent encore aborder des navires de 10.000 tonnes
(tirant d’eau: 5 m
79). Le Rio Uruguay est navigable jusqu’à Concordia, à 531 km de son embouchure: sa
profondeur est de 4 m
30 jusqu’à Paysandú, mais diminue ensuite, elle n’est plus que de 2 m 70 à Concordia.
Les ministres, réunis à Buenos Aires en février
1967, ont recommandé: « La création de nouveaux ports fluviaux et
l’amélioration de ceux que existent déjà en vue surtout de faciliter leur
utilisation par les pays que n’ont pas de débouché direct sur la mer (Bolivie,
Paraguay); des études préparatoires à l’intégration de l’énergie
hydro-électrique de toute la région ; l’installation de services de
pompage des eaux pour usage domestique, sanitaire et industriel, el pour
l’irrigation; le contrôle des crues, des inondations et de l’érosion; la
protection de la vie animale et végétale;
l’interconnection des réseaux de communication
déjà existants (routes, voies ferrées, fluviales et aériennes), la mise en
place de pipelines, la création d’un système efficace de
télécommunications ;
le souci de complémentarité régionale dans
l’installation et le développement des industries intéressant la croissance
économique des cinq pays, particulièrement lorsqu’il s’agit de zones
limitrophes appartenant à des Etats différents;
la coopération dans les programmes d’éducation et
dans la lutte contre les épidémies».
Ainsi on ne veut pas restreindre la coopération au
domaine hydrographique; on veut l’étendre au domaine économique et politique.
Bien que les indices économiques ne suffisent pas à définir le degré de
développement d’un pays et qu’il soit nécessaire d’y ajouter les indices
socio-culturels, voici toutefois pour donner une idée, les chiffres du produit
national brut per capita (exprimé en
dollars) pour les cinq pays: Argentine 645, Uruguay 560, Brésil 220, Paraguay
205, Bolivie 145[1].
On voit tout de suite que les plus attardés sont
le Paraguay et la Bolivie,
l’un et l’autre pays sans débouché maritime. Si les projets d’intégration se
réalisent, ce sont ces deux pays qui en profiteront le plus. L’Argentine parle
même de donner un de ses ports sur le Rio Parana en zone franche à la Bolivie pour qu’elle
puisse y faire directement ses échanges maritimes. De son côté le Brésil occupe
la quatrième place dans le monde pour les réserves d’énergie hydro-électrique.
Il construit actuellement sur le Rio Parana le complexe hydro-électrique
d’Urupunga qui avec une puissance installée de plus de 4 millions de kw sera
l’un des efforts les plus importants entrepris en Occident pour capter
l’énergie fluviale. L’Argentine et l’Uruguay ont étudié l’utilisation de la
chute de Salto Grande sur le Rio Uruguay (23 mètres) en vue de fournir de
l’énergie à bon marché à toute une zone industrielle qui pourrait s’y
installer.
L’expérience de la Tennessee Valley
aux Etats-Unis sert de modèle et d’encouragement aux efforts que l’on veut
entreprendre ici. Cependant l’intégration des cinq pays de la Cuenca del Plata n’exigera pas seulement la
contribution des gouvernements; il y faudra la participation de chacun des
habitants de ces pays, à qui il sera nécessaire de faire comprendre les
avantages que résulteront du changement. Or dans le passé, ces fleuves ont été
le théâtre de maint conflits armé; des chaînes étaient tendues pour interdire
le libre passage des navires étrangers. Aujourd’hui ces eaux peuvent devenir le
lien entre des nations sœurs: on les appelle déjà les «eaux de la paix»[2].
Alfredo
Bruno Bologna
Revista « Projet ». Paris, avril 1968, Nº 24, p. 491
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