Argentine: à la veille des
élections
Près de sept ans après avoir pris le pouvoir, le
« Gouvernement militaire de la Révolution Argentine »
appelle le peuple à se prononcer par des élections générales, le 11 mars 1973.
C’est en effet le 28 juin 1966 que le général Juan
Carlos Ongania destitue par un coup d’Etat le président Arturo Illia, élu
constitutionnellement le 31 juillet 1963 (mais avec seulement 25% des votes
exprimés) et qui aurait dû conserver la présidence jusqu’en 1969. Ongania resta
au pouvoir presque quatre ans : le général Roberto Marcelo Levingston le
remplaça en 1970 ; finalement le 25 mars 1971, la Junte des Commandants en
chef des trois armes désigna comme président le général Alejandro Agustín
Lanusse. Au cours de cette troisième étape de son histoire, la
« révolution argentine » a choisi une nouvelle orientation
politique : Lanusse promit d’organiser des élections générales dans le
plus bref délai.
Contrairement à Ongania qui avait suspendu
l’activité de tous les partis politiques, Lanusse entama le processus
d’ouverture que aboutira aux élections du 11 mars 1973. Conseillé par la Commission de
Coordination du Plan politique (présidée par le ministre de l’intérieur Dr.
Arturo Mor Roig, issu du courant radical et président de la Cambre des Députés sous le
gouvernement de Illia), il élabora un nouveau système électoral (loi 19.862, du
3 octobre 1972) autorisant les alliances de partis, afin d’éliminer la
prolifération des petits groupements politiques qui ont toujours caractérisé le
pays. De plus, le gouvernement déclare inéligibles aux prochaines élections
ceux qui ne seraient pas présents dans le pays le 25 août 1972. Etaient
déclarés également inéligibles les commandants en chef des trois armes, les
gouverneurs de provinces et les ministres. La clause du 25 août était une
allusion claire au cas de Peron, afin que celui-ci rentre en Argentine avant
cette date, s’il voulait être candidat. Peron est revenu à Buenos Aires le 17
novembre 1972 et a renoncé ainsi à se présenter à la présidence.
Les principales forces politiques qui disputeront
les élections du 11 mars sont :
1. Le Front
Justicialiste de Libération (Frente Justicialista de Liberación). Il
comprend : le Parti Justicialiste (le parti de Peron) qui se présente
comme tel après 17 années où il n’avait pas présenté de candidats sous cette
étiquette ; le Mouvement pour l’Intégration et le Développement
(Frondizzi), le Parti Conservateur Populaire (Solano Lima), le Parti Populaire
Chrétien, l’Union Populaire et Travailliste, plus divers petits partis locaux
dans les provinces. Ce Front présente comme candidats à la présidence le Dr.
Hector Campora, délégué personnel de Peron en Argentine, dentiste de
profession, et à la vice-présidence Solano-Lima. Bien qu’ils aient dû
abandonner le pouvoir en 1955 à la suite du coup d’Etat dit de la
« révolution libératrice », les péronistes peuvent compter encore sur
une grande masse du corps électoral. Peron lui-même a bien expliqué le
phénomène lorsqu’il a dit : « Notre manière de gouverner a été mauvaise,
mais le gouvernements qui ont suivi ont été pires ». S’il est vrai qu’en
général le gouvernement de Peron procura aux masses ouvrières et paysannes un
bien-être qu’auparavant elles ne connaissaient pas, il a été critiqué surtout
pour ne pas avoir su créer une infrastructure économique capable d’assurer
l’avenir industriel du pays.
2. L’Union Civique Radical (Unión Cívica Radical). Ce parti se présente seul (sans alliances) aux élections. Il a exercé le
pouvoir plusieurs fois et longuement depuis 1916 quand Irigoyen (une grande
figure de la politique argentine au vingtième siècle) arriva pour la première
fois à la présidence : Arturo Illia, le vainqueur des élections de 1963
(les dernières élections avant celles de cette année), appartenait à ce parti,
de tradition démocratique. L’Union Civique Radicale est une puissance politique
dans les classes moyennes, catégorie très importante de la structure sociale
argentine. Ses candidats sont le Dr. Ricardo Balbin et le Dr. Gamond.
3. Alliance Populaire Fédéraliste (Alianza Popular Federaliste). Constituée par le regroupement de 27 partis
de province et du Parti Démocrate Progressiste au plan national, elle présente
la candidature de Francisco Manrique (officier à la retraite et ancien ministre
de la Sécurité Sociale
du gouvernement Lanusse) et Martinez Raymonda, du Parti Démocrate Progressiste.
4. L’Alliance Républicaine Fédérale (Alianza Republicana Federal). Formée par 10 partis de provinces, elle est
favorable au gouvernement militaire actuel. Son candidat à la Présidence est un
officier à la retraite, qui fut le secrétaire de la Junte de Commandants en
chef, Ezequiel Martinez. Celle « alliance » attirera tous les
électeurs partisans du gouvernement de Lanusse, lequel, selon le règlement déjà
cité du 25 août, ne peut pas lui-même être candidat. En politique
internationale, Lanusse a manifesté une grande largeur de vues, une grande
habilité à rompre les barrières idéologiques et à dialoguer avec tous les chefs
d’Etat de l’Amérique du Sud, fait tout à fait nouveau : il a rendu visite
à des nations qui jamais auparavant n’avaient reçu de présidents de la République Argentine.
Les critiques principales formulées contre son gouvernement visent la politique
économique et la politique intérieure.
5. L’Alliance Populaire de Centre Gauche (Alianza popular de centro izquierda). Constituée
par le regroupement du Parti Intransigeant (Allende), du Parti Révolutionnaire
Chrétien (Sueldo) et de l’Union du Peuple pour le Progrès (Sandier), elle
présente Allende et Sueldo, respectivement à la présidence et à la
vice-présidence.
6. La Nouvelle Force (Nueva Fuerza). Parti conservateur libéral qui
suit les orientations de l’Ing. Alvaro Alsogaray (ministre de l’Economie dans
plusieurs gouvernements) et entend appliquer la théorie économique du marché
libéral, en prenant comme modèle l’Allemagne Fédérale des années après la
deuxième guerre mondiale. Ses candidats sont Chamizo et Ondara.
7. Le Front de Gauche Populaire (Frente de Izquierda Popular). Dirigé par l’écrivain Albelardo Ramos à
l’intention des électeurs qui veulent rester à l’écart des alliances
précédemment énumérées. Candidats : Abelardo Ramos et Silvetti.
8. Le Parti Socialiste Démocratique. Candidats : Ghioldi et Balestra.
Il existe encore quelques partis très
minoritaires, dont le rôle sera surtout de rendre encore plus ardue la lutte
électorale, déjà passablement compliquée par cette mosaïque d’alliances.
Sur une population totale de plus de 23 millions
d’habitants, il y aura 13.598.656 électeurs. On sait que 35,7% de la population
est concentrée dans le grand Buenos Aires (la capitale et sa banlieue). Chaque
grande formation politique (alliance ou parti) essayera d’obtenir plus de la
moitié des votes validement exprimés le 11 mars, afin d’éviter un second tour.
Selon la loi électorale, celui-ci doit avoir lieu dans les 30 jours suivants si
aucun parti (ou alliance) n’a obtenu ce chiffe (la moitié des voix) : or
ni la Justicialisme,
ni le Radicalisme, qui sont les deux grandes forces électorales en présence, ne
semblent capables d’obtenir ce résultat. On prévoit donc un second tour, entre
ces deux partis, chacun étant soutenu par de nouvelles alliances avec les
candidats d’autres partis.
Le Président qui sera élu en mars 1973 conservera
sa charge quatre ans (au lieu de six, comme prévoyait jusqu’ici la Constitution
Nationale). Les Forces Armées essayeront d’obtenir un
ministère pour chacune des trois armes dans le futur gouvernement. Pour la
majorité du peuple argentin, ces élections apparaissent comme la dernière
chance d’en finir sérieusement et démocratiquement avec l’instabilité
politique, l’agitation sociale et l’inquiétude économique qui existent depuis
longtemps dans les pays.
Alfredo Bruno BOLOGNA
Escuela de Ciencia Política y Relaciones Internacionales
Rosario, République Argentine
Revista "Projet" Paris, Janvier
1973, Nº 73, p. 350
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